Passage
_ Alors ? Tu as réfléchis à quand on pourrait se voir durant la semaine ?
_ Ecoutes, ça ne va pas être possible…
_ La semaine prochaine peut être ? ça ne presse pas, tu sais !
_ Non. Je… Ce que j’entends par ça ne va pas être possible, c’est que non.
Il n’y aura rien, pas de café ensemble, ni quoique soit d’autres. Rien.
_ Je m’en doutais.
Un silence.
_ Les filles comme toi ne s’intéressent pas aux mecs comme moi, elles les snobent.
Je pensais juste que tu étais différente…
Comme tous.
_ Alors je ne suis pas différente, je suis comme toutes les autres, qu’une salope de plus comme on dit. On est d’accord. Je ne dormirais pas moins bien ce soir. Et toi tu n’auras rien à regretter, rien à te reprocher. C’est bien.
_ Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…
_C’est ce que j’ai compris.
_ Mais, pourquoi ne pas essayer ? Repartir sur de bonnes bases, un café n’engage à rien ?
Je sais.
_ Et pourquoi faire ? Pour passer chacun l’une des heures la plus chiante et embarrassante de notre vie ? Je préfère nous l’épargner !
_ Alors pourquoi as-tu accepté ?
_ Par politesse,
Je le regarde, tel qu’il est : son mètre soixante, ses cheveux courts, son air de gamin frustré, déçu, quelque chose de ce genre. Pitoyable.
Par pitié aussi…
Puis tu voulais que je dise quoi ? La vérité ? Non, désolé mais ça ne va pas être possible.
Tu comprends je n’ai aucune envie de passer une heure avec toi, dans un bar peu importe, à se chercher désespérément des points communs, à sourire et à acquiescer à ce que tu dis. Juste par politesse, et par pitié aussi, parce que toi, tu seras là, un peu maladroit, à chercher tes mots, à lancer des sujets de conversations dans l’espoir que ça m’intéresse.
Je…
Et puis merde…
Je n’ai aucune envie de passer une heure avec toi, dans un bar peu importe, à se chercher désespérément des points communs, à sourire et à acquiescer à ce que tu va me dire. Juste par politesse, et par pitié aussi, parce que toi, tu seras là, un peu maladroit, à chercher tes mots, à lancer des sujets de conversations dans l’espoir que ça m’intéresse.
Et bien sûr, au début, je ferais des efforts, pour avoir l’air intéressée, non pas par toi mais au moins par ce que tu dis. Je dirais « Oh oui, bien sûr ! J’adorerais… ».
Puis il y aura le moment où j’en aurais marre, où je serais fatiguée de sourire, et je vais devenir méchante, je ne ferais plus d’efforts.
Et toi, tu n’y comprendras rien.
Je ne sais même pas pour qui se sera le plus gênant. Pour toi ? Qui sera là, assis en face moi, nerveux, tu regarderas désespérément le fond de ton verre en cherchant quoi faire quoi dire, comme si la réponse y était inscrite. Ou moi ? Sachant pertinemment qu’il n’y a pas de réponse, pas de solution.
Je nous épargne tout ça, tu vois. Et ne me remercie pas, c’est un cadeau.
Il attend quelques secondes, puis…
_ Pourquoi me dis tu tout ça ?
_ Parce que c’est vrai.
_ Pourquoi je n’arrive pas à te détester après ce que tu viens de me dire…
_ Parce que c’est vrai.
_ Pourquoi tu n’es pas comme toutes les autres ? Tu aurais pu simplement dire, je ne sais pas, un truc comme quoi tu as déjà un mec, un peu jaloux…N’importe quoi !
_J’y ai pensé.
Mais je n’ai pas de copain. Pas de mec jaloux dans ma vie.
Et je n’en veux pas.
_ Pourquoi ne pas mentir ?
_ Je ne sais pas.
_ Menteuse.
_ Explique.
_ Ce que tu ne veux pas, ce n’est pas le fait d’avoir un rendez-vous avec moi, c’est le fait que durant ce rendez-vous je puisse découvrir qui tu es.
Pauvre type.
_ Et qui je suis ?
_ Une fille, qui a des choses à cacher, des travers comme tout le monde, peut être plus.
Une fille qui sourit, qui charme, c’est tellement facile. Mais dès qu’on cherche plus loin, elle fuit.
Tu veux être uniquement l’image que tu renvois, celle que tu contrôle.
Cette grande blonde, qui a l’autodérision et l’intelligence pour elle, déroutante, imprévisible.
Tu veux être celle qu’on regarde, celle qu’on admire.
Tu recherche l’attention, mais si on te l’accorde tu l’ignores.
Tu joues avec les gens, tu les manipules.
Tu t’arranges pour qu’il ne voie que cette fille, et pour qu’ils te renvoient cette image flatteuse. C’est tellement facile.
Puis si quelqu’un ne te voit pas de la même manière, de la manière qui t’arrange, qui te plait. Tu l’ignores. C’est tellement plus simple.
Connard.
_ Bravo. Enfin de compte, tu peux être drôle…
Je l’applaudis, tout en riant.
Tu as fais psycho ? Non. Tu as lu ça où ?
Dans un magazine féminin, un jour, dans la salle d’attente de ton médecin ?
Tu étais à l’agonie, 38 de fièvre le nez bouché, et tu y as vu la réponse à toutes tes questions : Pourquoi je suis seul ? Pourquoi elles ne me regardent pas ?
Du coup, tu as discrètement déchiré la page, ou peut être piqué le magazine. Non, tu l’as déchiré ! Puis tu l’a gardé dans ta poche, des semaines, comme une relique.
Peut être même que tu l’as encore !
Rire
Tu vois, je t’avais prévenue. Je deviens méchante. Et ce n’est que le début.
Je le regarde avec insistance.
Tu veux toujours boire un café avec moi ?
_ Ne te moques pas.
_ Oh, monsieur est susceptible !
_ Non, ne te moques pas de l’amour.
_ De l’amour ? Mais tu te prends pour qui ?
Pour me dire qui je suis et me parler d’amour !
Tu veux que je te rappelle qui tu es ? Qui tu es dans ma vie ?
Il hésite, mais ne répond pas. Il attend le verdict, mon verdict.
_ Rien.
Je t’ai parlé deux ou trois fois, juste comme ça. Sans idée derrière la tête, sans vouloir plus. Puis, tu m’as proposé qu’on aille boire un coup ensemble, comme ça, sans prévenir ! Avec ce regard…comme s’y je n’attendais que ça !
C’est que tu ne doutes de rien !
Mais tu es ridicule. Tu es ridicule, parce qu’avec tes grands discours : tu ne me connais pas et je n’ai pas envie de te connaitre.
Tu restes là, seul, comme un con, c’est tout !
_ Pourquoi tu t’énerves ?
Je ne m’énerve pas. Tu m’insupportes. Ta tête, ton regard, ce regard… j’ai envie de te claquer ! Envie que tu te la ferme.
Il continue :
_ Tu as peur.
_ Non !
_ Ce n’était pas une question.
Merde.